Pierre Garnier, L’Alouette, une litanie picarde
à l’automne la Baie de Somme est un dessin
au printemps c’est une peinture
la vase est douce,
des coques et des couteaux y vivent et y
meurent tendrement
ils passent sans à-coup
de la vie à la mort, de la mort à la vie
dans la Baie on vit peu on meurt peu
c’est le même milieu que le poème :
depuis des millénaires la vase
a créé un monde doux et lumineux
la mer est un papillon,
elle volète sur le sable,
elle ne pose guère sur la Baie
le matin le soleil au levant est au fond de
la Baie
dans les flaques on voit la résurrection
le soir le soleil plein ouest
peint la crucifixion
parfois trois croix de voiliers
remontent vers le levant
ces inexplicables beauté et bonté du monde
le fond de la Baie est si rond
que du large on voit un anneau
le sable ou la vase ou la neige éternelle
on y vit à peine on y meurt à peine
les hirondelles ne trouvant plus à se nourrir
deviennent minuscules –
des oiseaux exotiques qui vont disparaître
dans la mer –
les yeux suivent le flux qui monte
et fait tourner la mer
jusqu’aux falaises de Douvres
nul n’a jamais su si c’était les voiles ou
les drapeaux
qui faisaient avancer le navire ?
comme Guillaume le conquérant
nous nous sommes engagés dans l’inconnu
nous ne regrettons pas de nous être engagés dans
l’inconnu
nous ne regrettons pas non plus de nous être
enfoncés
dans le neiges éternelles
la Baie est un papillon
-la mer plus loin est chenille et chrysalide
parfois les rideaux bougent dans mon bureau
-il n’y a pas de vent
Mais un papillon traverse le jardin du presbytère
la Baie de Somme est un ciel étoilé :
les coques se touchent presque
mais sont à des distances sidérales l’une de
l’autre
nul ne connaît la profondeur des coques
les années-lumière semblent être nées dans la Baie
Éditions ADN Dumerchez, 2002, 89-91
Lien avec le territoire
Pierre Garnier privilégie la figure de l’oiseau.
Ce choix illustre bien la rhétorique entre l’espace et le temps.
Le paysage de la Baie de Somme s’étend aux yeux de Pierre Garnier à l’infini jusqu’à l’horizon.